Ils sont partis

06/04/2022

Le vent déploie les ailes des oies sauvages,
Valsant avec l'écho des vêpres du village.
Les flammes fauves de l'automne sont tombées
Dans l'horizon de braises rouges et d'or flambé.
La saison de Samain et de l'ombre est venue,
Le temps des nuits sur la terre insensible et nue.
J'ai senti le frisson de la montée du soir.
J'ai entendu d'anciens contes, des chants d'espoir,
Un murmure du passé remuant les bois,
Et les âmes des vieux chênes tremblant d'émoi.

J'ai caressé les aubes des fleurs souffrantes,
Les rameaux secs que les vautours hideux tourmentent...
Et ces grands arbres, seigneurs de la forêt rousse...
Autrefois, on les voyait danser sur la mousse !
Maintenant, ils dorment sous une écorce dure,
Sculptures figées par un souffle de froidure.
Le fils de Fenrir a dévoré le soleil.
La tendre extase des jours de Sol en sommeil,
Est venu le temps des nuits d'effroi et de veille,
Loin la tendresse de l'aurore qui s'éveille...

Le coursier des frimas nocturnes et glacés
A secoué ses crins de givre sur les prés :
Sur les champs sont tombées des pâleurs assassines.
Le jour est mort au loin, triste sur les collines,
Dépouillé de son incarnat de privilèges.
Je l'ai vu emporter dans sa chute un cortège :
Nos gars bruns, nos gars blonds dans leurs vestes usées ;
Nos preux enfants qui portaient bravoure et fusil !
Ils étaient comme des princes nobles et fiers,
Tels des seigneurs, soldats sans peur sous la bannière. 

Ils sont partis, sans se retourner. J'ai crié.
En vain derrière eux j'ai couru, et j'ai pleuré.
Réduite à l'impuissance, que pourrais-je faire ?
C'est un passé révolu, enfoui sous la terre.
Jamais tous ces gars partis ne m'ont entendue...
Et ce parfum de la terre qu'ils ont connue,
Celle qu'ils ont aimée, chérie et cultivée,
Semble témoin de leur histoire inachevée.
Le brouillard m'engourdit... je tremble, mais j'entends
Les voix de ceux qui tombèrent un soir d'antan...

Je les entends les fils du labeur et des blés,
Les fils des braves et des hommes indomptés.
Ils sont morts là, dans ce bois, et j'étais près d'eux,
Agenouillée, cent ans après pour dire adieu...
Je les aurais tous embrassés, j'aurais chanté,
Pour anéantir les douleurs qui les hantaient.
Mes larmes dans leur sang de sacrifice vain,
L'étreinte brûlante de mes doigts sur leurs mains,
Mon cœur et ma mort, dans leurs heures d'agonie,
Mon Dieu pour eux, le chapelet, les litanies ! 

J'aurais été à leurs côtés quand ils mouraient.
Dans le chagrin cruel du jour qui disparaît...
Mais je n'étais pas là. Non. Et ils étaient seuls.
Victimes tragiquement livrées au linceul...
Tout ce beau sang versé en vain j'en veux vengeance !
O Seigneur, consolez mon affreuse souffrance !
Les enfants de ma race sentent des douleurs
Qu'ils n'ont point éprouvées mais qui saignent leur cœur.
Ils ont des amours qui ne se sont pas connus,
Des chagrins, des deuils et des rêves continus,
Des espoirs et des images
Qui traverseront les âges...

~ H. Lefort, paroles mises en musique par Fleur d'épine

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