L'eau du combat

19/01/2022
« Quand verrai-je avancer mon peuple en conquérant,
Arrachant ses chaînes et ses haillons d'esclave ?
Quand verrai-je enfin triompher les rêves francs,
Et rentrer du combat les nobles et les braves ?

Quand les verrai-je aller, de francisques armés,
Sur les hauts palefrois de Frise aux crins d'écume,
Portant l'écu de croix et d'aigles parsemé
Et les épées forgées sur nos froides enclumes ?

Quand verrai-je, au vent, l'étendard de la victoire,
Dans le doux cliquetis des hauberts miroitant
Comme des lacs d'Écosse sous la Sowilo noire,
Entrant dans nos cités, aux chants des cœurs battants ?

Quand verrai-je enivrées de vin, les coupes d'or,
Et les pommes d'Idunn sur les tables des nôtres,
Pour célébrer le retour des preux et des forts
Par le pain de la terre et le pain des Apôtres ?

Quand verrai-je, aux cieux, l'aube pâle et printanière,
Pégase ailé de blanc, dans la brise chérie,
Porter Aurore lancer des roses sur la terre
Et Anthousai tisser des fleurs sur les prairies ?

Quand verrai-je les filles de Nausicaa,
S'agripper d'euphorie aux brillants étriers,
Couvrant du lilas tendre et des lys délicats,
Les beaux fils de Roland menant leurs destriers ?

Quand verrai-je, enflammés, les feux jubilatoires
Danser sur le miroir des lames et des mailles,
Et la bière à flot couler sur les rôtissoires,
Comme au joyeux banquet de tendres épousailles ?

Quand verrai-je, au matin, la rosée de victoire,
Les seigneurs défiler en solennel arroi,
Le jour du cor pour le triomphe et pour la gloire,
Le retour de Charlemagne et le sacre du roi ? »


« Point ne verras enfant, ces doux temps d'allégresse
Ni le destin nouveau des fils des Saliens.
Point ne connaîtras les heureux jours de liesse,
Ni le triomphe de l'aigle régalien.

Mais vois : devant ton peuple le champ de bataille,
Le val où le cor sanglant sonne le combat,
La solitaire combe où les héros se taillent
L'honneur de siéger dans le temple de Pallas.

Vois la montagne et la rocaille meurtrière,
Vois le chemin de lutte et de douleur,
Votre sang vermeil épandu dans la poussière,
Vois la traque du dernier loup par les chasseurs.

Entends le désespoir du dernier cri de guerre,
Entends la lutte jusqu'au silence des morts !
Vois les ruines et le crépuscule de vos terres !
Vois s'écrouler les donjons de vos châteaux-forts !

Voici vos lendemains ! Voici votre destin !
Vois : La peur, le soir, le glaive et la fin du monde !
Réjouis-toi, enfant : car tu verras le déclin,
L'âge sombre et martial du tonnerre qui gronde.

Réjouis-toi car tu verras la lutte exaltée,
Le temps de faire offrande entière de la vie,
Le temps bouillant et joyeux de l'adversité !
Va maintenant, sans chagrin et l'âme hardie !

Le banquet qui t'attend est celui des soldats,
On n'y boit point l'hydromel, mais le vin amer,
Le claret pur et monastique, l'eau du combat
Où l'on donne âme et corps, où l'on surprend la mort ».


~ H. Lefort

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