Poésie anglaise et autocommentaire du poème « Dansait la nymphe »

Beowulf défié par le gardien, peinture d'Evelyn Paul (1883 – 1963)
J'ai publié, il y a quelques temps déjà, un article relatif à
la poésie scaldique. Mes recherches m'ont menée à découvrir la
poésie anglaise. Je ne prétendrai pas en être spécialiste,
n'étant d'ailleurs absolument pas bilingue. Néanmoins, sa
lecture m'a profondément inspirée dans mes récents essais.
Mon intérêt pour la poésie scaldique m'avait déjà poussée à remettre en question le fondement classique de la poésie française : la rime finale. La rime finale n'est pas en effet considérée comme le marqueur de la poésie dans tous les systèmes poétiques. Il s'agit d'ailleurs d'une vue assez typiquement française.
En poésie grecque et latine classique, la rime finale est absente ou anecdotique. La poésie scaldique se fonde quant à elle sur des allitérations, des accents, et un rythme particulier : la rime finale n'en est pas une règle systémique. Quant à la présence de rimes finales en poésie anglaise, elle serait due à une transposition du système de versification française en langue anglaise.
En outre, il est communément admis que l'origine de l'érection de la rime finale en règle systémique se trouverait dans la poésie latine chrétienne. Les chrétiens d'Afrique auraient eux-mêmes puisés dans certains poèmes hébraïques et écrits sémitiques qui utilisaient la rime finale.
C'est à partir du VIII ème siècle que l'utilisation de la rime finale se régularise, pour connaître ensuite un développement progressif et constant jusqu'à se distinguer de plus en plus nettement de l'assonance.
Sans étude approfondie des différents systèmes poétiques, le lecteur français pourrait être tenté de croire que ce qui distingue la poésie de la prose est la présence de la rime finale. Pourtant, si la rime finale semble être devenue une condition sine qua non de la poésie française, son usage n'est pas universel en Europe. À ce titre, la poésie anglaise se permet de faire davantage d'entorses que la poésie française à la règle de la rime finale. Pour ainsi dire, le rythme y est plus important que la rime, qui n'a pas valeur obligatoire.
Le lettrisme, courant qui connut un échec cuisant, avait tenté de créer, en France, un système de poésie fondé intégralement et exclusivement sur l'esthétique des mots, rejetant au passage la rime finale comme marqueur de la poésie, et préférant les jeux de sonorité.
L'échec (que je trouve pour ma part heureux) de ce mouvement ne tient pas tant, me semble-t-il, dans la recherche de fondements autres que celui de la rime finale au vers français, que dans le rejet de tout sémantisme. En effet, si le lettrisme recherche une extrême destructuration, et concentre tous ses efforts sur la forme et le mot, c'est dans le but plus ou moins avoué de priver le texte de tout sens et de valeur.
Le lettrisme est né après 1945, de l'esprit d'un juif, Isidore Goldstein (de son nom de naissance), né en Roumanie, et rebaptisé Isidore Isou, qui vécut à Paris. Il évoquait son projet poétique en ces termes : « réalisant l'universalité, nous créons une internationalité égale pour toutes les langues indifféremment de leur importance. Le profit et la perte de chaque nation étant égaux, nous réussirons à réaliser le vieux rêve de toute poésie. Que la poésie devienne transmissible n'importe où et qu'elle surpasse. La poésie lettriste, la première vraie internationale. »
Inutile de préciser que ce sont ces conceptions internationalistes,
déracinées, égalitaristes qui ont, c'est heureux, perdu ce
mouvement, dont l'œuvre n'enrichissait en rien la poésie française,
mais la massacrait pour l'asservir à un modèle de poésie
internationale, déraciné, et partant très logiquement aseptisé et
laid.
Loin de moi l'idée d'abattre la rime finale ou de créer une internationale poétique, j'ai cependant trouvé intéressant d'intégrer des éléments de poésie scaldique et anglaise à mes modestes compositions poétiques. Le résultat m'a particulièrement plu à titre personnel, et ce pour différentes raisons :
Tout d'abord, l'exercice est stimulant pour un poète français habitué à composer en se basant sur la rime finale : Il pousse à aborder la conception du vers d'une façon inhabituelle, ce qui s'avère divertissant. J'ai pour ma part dû retravailler particulièrement le choix de mon vocabulaire, car l'insertion de règles scaldiques ou de modèles anglais en français exige une sélection plus sévère des termes afin de créer les similarités phonétiques, et le rythme qui caractérisent ces systèmes.
Ensuite, sans remettre en cause la fluidité et la musicalité noble et régulière de l'alexandrin, cet exercice permet de donner un rythme très soutenu au texte, ce qui le rend plus adapté pour l'évocation de certains thèmes, accentue la musicalité, et lui permet d'exhaler une ambiance particulière, laquelle dépendra aussi des phonèmes choisis.
Pour finir, il me semble que cet essai, sans remettre en cause la valeur des règles classiques de poésie française - pour lesquelles je conserve admiration et respect - permet une exploration nouvelle et un enrichissement de notre poésie, qui, d'ailleurs, ne se réduit pas à l'alexandrin, même si celui-ci en demeure incontestablement le roi.
Quant à la rime finale, je l'ai conservée dans mes essais. En effet, sa suppression me paraît dommageable en français, puisque notre langue n'est pas accentuée. Cependant, j'ai pris quelques libertés à son égard dans mes derniers essais, par choix et avec une certaine mesure.
*
Trêve de discours : Voici, afin de documenter plus précisément mes essais, l'autocommentaire de l'un de mes derniers poèmes : « Dansait la nymphe ». Sa musicalité ressort, à mon sens, relativement bien à l'oral (vous pouvez en trouver une lecture orale que j'ai publiée sur le canal telegram).
Je me suis inspirée, pour ce poème, de « La Geste de Beren et Lúthien la fée appelée Tinúviel le Rossignol, ou le lai de Leithian », poème écrit par l'auteur bien connu J.R.R. Tolkien, dont j'ai trouvé le texte anglais dans l'ouvrage « Les lais du Beleriand ».
Voici la reproduction de mon poème :
Dans les jardins vieux et anciens,
Ils murmuraient en magiciens,
Les hauts bouleaux en robe blanche,
Aux pieds moussus, aux douces branches.
Dansait la nymphe... et les phalènes
Aux ailes bleues, vêtues de laine,
Allaient près d'elle, en bruissant, frêles,
Jusqu'aux ruisseaux qu'elle ensorcelle.
Sur des tapis de gris lichen,
Posant ses pieds de porcelaine,
La fée valsait, ombre lilas
Au fond des vals et au-delà.
Le clair de lune envoûtait l'air,
Et ses cheveux, l'astre polaire,
Quand elle tournait sous l'arceau,
Le dai des cieux, tel un oiseau.
Montait la brume en mousseline,
Depuis la terre et les racines...
Le rossignol, avant le jour,
Pleure et s'endort, ode d'amour.
Dansait la nymphe aux mains fragiles,
Le pas léger, le pied agile,
Sous le feuillage ample et frisé,
Avant l'aurore et l'eau rosée.
Je dois faire, à titre liminaire, une précision sémantique.
En poésie française, l'on distingue la rime (par définition finale) de l'allitération (répétition d'une même consonne) et de l'assonance (répétition d'une même voyelle). En revanche, on décrit les systèmes scaldiques et anglais comme des systèmes utilisant la versification allitérative, le terme d'allitération renvoyant à toute forme de similarité phonétique, étant précisé que les voyelles allitèrent toutes entre elles et que les consonnes n'allitèrent que si elles sont identiques. Il en est ainsi de grands poèmes tels que le Heliand, le Beowulf, l'Edda poétique et le Muspilli.
Aussi, utiliserai-je ici le terme de rime pour décrire les rimes finales et celui d'allitération pour décrire toute forme de similarité phonétique.
Pour commencer, j'ai effectué un tri et choisi les phonèmes avant même de commencer à écrire, en me basant pour cela sur ceux qui ressortaient le plus fréquemment du poème de Tolkien. Il s'agissait principalement de sonorités douces : le fameux « th » anglais, les « s », « f », « g » doux, « d » « b » « l » « m » « n » et « v » m'ont semblé être les phonèmes consonnatiques les plus emblématiques. Quant aux voyelles, les sons « a », « o », « e »,« ou », « on » m'ont semblé les plus doux et proches des voyelles utilisées par Tolkien en anglais.
J'ai en outre évité autant que faire se peut les sons durs. Par exemple les « r », qui produisent volontiers un son dur, et j'ai tâché de contenir leur apparition dans une enceinte de mots évocateur d'éléments doux. Si l'on dresse le catalogue de "r" l'on s'aperçoit qu'ils n'apparaissent qu'au sein de termes relatifs à des éléments qui évoquent la douceur, la délicatesse, la tendresse : « murmure », « branche », « frêle », « ruisseaux », « ensorcelle », « gris », « porcelaine », « ombre », « clair », « air », « astre », « polaire », « tourner », « arceau », « brume », « terre », « racines », « rossignol », « jour », « pleure », « s'endort », « amour », « fragile », « frisé », « aurore », « rosée ».
J'ai ensuite tâché de choisir un champ lexical relatif à la forêt, à l'humidité, à l'air, au soir et à la magie.
Au niveau de la versification, j'ai opté pour l'octosyllabe, qui se rapprochait du rythme que Tolkien utilisait et qui permet une intensification de la musicalité par son format étriqué.
J'ai cherché à renforcer l'intensification musicale en utilisant des allitérations de toutes sortes.
Voici le commentaire détaillé de chaque strophe :
- Strophe numéro 1
Dans les jardins vieux et anciens,Ils murmuraient en magiciens,
Les hauts bouleaux en robe blanche,
- Au niveau de la forme : l'on remarque diverses allitérations : en « m » dans « murmuraient » et « magiciens » ; en « b » avec « bouleaux », « robe », et « blanche » ; en « o » avec « haut », « bouleaux » et « robe » ; en « s » avec « moussus » et « douces » ; en « ou » avec « bouleaux », « moussus », et « douces ».
- Au niveau du fond : cette strophe permet de placer l'atmosphère et un décor sylvestre. Je l'ai imaginée comme un moyen de rendre hommage à Tolkien.
En effet, quiconque connaît l'auteur connaît aussi son amour pour les arbres qu'il a personnifiés dans le Seigneur des Anneau au travers des Ents de la forêt de Fangorn. Aux yeux de Tolkien, l'arbre est un témoin du temps, un élément sacré, un personnage vivant.
Cette strophe rend compte de la vision littéraire des arbres par Tolkien : leur caractère séculaire est mis en exergue par la répétition des adjectifs vieux et anciens, et plus loin l'usage de l'adjectif haut qui évoque la sagesse, comme façon de prendre la hauteur sur les événements du présent, comme prétend le faire le personnage de Sylvebarbe dans le Seigneur des Anneaux ; l'évocation de leurs pieds laisse imaginer que le temps a fait son œuvre et les a recouvert d'une épaisse mousse.
Les arbres sont vivants, ils murmurent, grâce à leurs branches. Ils sont sacrés, ce sont des magiciens en robe blanche. Ils sont ainsi vêtus tels les personnages inventés par Tolkien comme Gandalf ou Saruman. La forêt est alors leur jardin.
On entre ainsi dans l'univers de Tolkien, on plonge directement dans son monde. Ce faisant, je m'appuie sur des images poétiques créées par Tolkien : si le lecteur connaît l'œuvre de l'auteur, le décor lui apparaîtra familier, et le caractère fabuleux du monde de Tolkien se manifestera avec force et clarté sans qu'il soit nécessaire de ma part d'aller plus avant dans la description du décor.
- Strophe numéro 2
Dansait la nymphe... et les phalènesAux ailes bleues, vêtues de laine,
Allaient près d'elle, en bruissant, frêles,
- Au niveau formel on peut remarquer une allitération continue en « l » avec les mots suivants, placés dans les quatre vers qui composent la strophe : « les phalènes », « ailes », « bleues », « laine », « allaient », « elle », « frêles », « elle », « ensorcelle ».
On remarque aussi « bruissant » et « ruisseaux » qui se répondent pour créer une allitération complexe en « ruiss », à laquelle se rattache une autre allitération moins développée avec les sons « r » et « s » qu'on retrouve dans le mot « ensorcelle ».
On peut aussi remarquer une allitération en « o » au dernier vers avec « aux », « ruisseaux » et « ensorcelle » ; une allitération entre les termes « ailes » et « elle » au vers suivant ; de plus, les termes « laines » et « allaient », qui forment entre eux une autre allitération, sont placés entre les deux termes de l'allitération en « elle », ce qui apporte une musicalité particulière en inversant le son produit par les termes « ailes » et « elle », en produisant pour le son « lai » ; on peut aussi remarquer l'allitération au vers numéro trois, entre « elle » et « frêle », qui se répète encore au vers quatre entre à nouveau le terme « elle » et « ensorcelle ».
- Au niveau du vocabulaire, on retrouve le thème de l'air avec l'évocation des phalènes ; la magie avec la danse de la nymphe et un terme significatif à savoir « ensorcelle » ; l'humidité avec les ruisseaux ; la douceur, évoquée par la couleur bleu, le vêtement de laine que portent les phalènes, et la fragilité de ces dernières : le fait que les phalènes vont près de la nymphe donne l'impression que tous les qualificatifs qui le concernent (le bleu, la laine, la fragilité) peuvent s'appliquer aussi bien à celle-ci.
En outre, la musicalité est accentuée par l'évocation des sons présents dans la scène décrite : les ailes des phalènes, et le ruisseau qui semblent bruire lui aussi.
- Strophe numéro 3
Sur des tapis de gris lichen,Posant ses pieds de porcelaine,
La fée valsait, ombre lilas
- Sur la forme, encore des allitérations : en « i », avec « tapis », « gris » et « lichen » ; en « p » avec « posant », « pieds » et « porcelaine » ; en « val » avec « vals » qui répond à « valsait » ; en « pi » avec « tapis » et « pieds », les deux termes étant suivis du terme « de »; en « on » avec « ombre » et « fond » ; en « o » avec «posant » et « porcelaine » ; en « l » avec « porcelaine », « la », « valsait », « lilas », « vals », et « au-delà », soit une allitération continue en « l » qu'on pourrait faire partir du premier vers avec « lichen ».
- Sur le fond, la scène prend un caractère irréel et idéal : la fée devient une ombre aux pieds de porcelaine, à mesure qu'elle danse, la magie opère.
La valse semble en harmonie avec la nature, puisqu'elle s'accorde avec le terme de vals.
Le champ lexical fait référence au rêve avec un au-delà qui laisse le lecteur libre d'imaginer ce qui pourrait s'y trouver. Les pieds de la fée sont de nouveau évoqués, matérialisant ses pas de danse.
La forêt se colore en gris, se dessine tapissée de lichen, l'atmosphère prend la couleur du lilas : plus que des sons, ce sont des couleurs et des impressions qui se dégagent de cette strophe.
- Strophe numéro 4
Le clair de lune envoûtait l'air,Et ses cheveux, l'astre polaire,
Quand elle tournait sous l'arceau,
Le dai des cieux, tel un oiseau.
- Ici aussi, des allitérations multiples : « clair » avec « air » ; une allitération en « v » avec « envoûtait » et « cheveux » ; en « d » avec « dai » et « des » qui lui est accolé ; en « s » avec « sous » « arceau » et « cieux » ; en « ai » avec « clair », « envoûtait » et « air » ; de même, « arceau » répond à « cieux ».
Par ailleurs les deux premières syllabes de chaque vers produisent un son relativement similaire : « le clair », « et ses », « quand elle », « le dai ».
- Ici le champ lexical développe les thèmes de la nuit, avec le clair de lune particulièrement évocateur, la fraîcheur polaire. Le thème de l'air apparaît encore avec, précisément, le terme « air », la comparaison à un oiseau, ainsi que la référence au ciel nocturne et aux astres qui ajoutent de l'enchantement et du mystère.
- Strophe numéro 5
Montait la brume en mousseline,Depuis la terre et les racines...
Le rossignol, avant le jour,
- Ici une allitération au premier vers en « m » avec « montait », « brume » et « mousseline » ; une allitération en « r » avec « terre », « racines », « rossignol », « jour », « pleure », « s'endort » et « amour », soit une présence continue du « r » qui débute au premier vers avec « brume » ; une allitération en « d » entre « s'endort », « ode » et « d'amour », avec en outre l'inversion du son « do », dans « s'endort », avec le son « od » dans « ode » ; une allitération en « leur » peut être aussi remarquée entre « le rossignol » et « pleure » ; de même, la voyelle « o » ponctue les deux derniers vers avec « rossignol », « s'endort » et « ode », et jouent d'une proximité phonétique avec les rimes finales en « our » de ces deux vers qui se finissent par « jour » et « amour ».
- Le champ lexical s'attarde ici sur l'aspect vaporeux de la scène avec des éléments humides tels que les pleurs, la brume, les racines, la terre, pour finir avec la rosée du matin et le feuillage ample, qui laisse imaginer une ombre fraîche.
Quant à la magie, elle répond toujours présente avec le terme de « nymphe ».
La douceur et la musicalité s'appuient encore sur des éléments qui produisent un bruit délicat : le rossignol et une ode.
Le soir est évoqué par contraste avec l'expression « avant le jour », ce qui constituerait presque un kenning (poésie scaldique), et permet de convier de nouveau une atmosphère féerique et enchantée, et d'affirmer encore la magie. Magie qui semble déjà trop proche de se dissiper avec le jour : la scène gagne ainsi en intensité, puisqu'elle est présentée comme un instant trop court que le spectateur cherche à retenir.
Cette impression est décuplée par les pleurs du rossignol, oiseau du soir, dont le chagrin à l'idée de l'aube qui dissipera toute idée de magie accentue, par contraste, l'attractivité de la scène. Le fait qu'il déclame une ode d'amour et s'endorme souligne la paix et le bonheur que lui procurent la danse et le charme que la fée exerce sur lui, par sa grâce et sa beauté.
Le spectateur de cette danse, qui, dans l'histoire de Tolkien, est un humain appelé Beren qui tombe amoureux de la jeune princesse elfe, est ici incarné par le rossignol qui apparaît, à l'instar de Beren, séduit par la nymphe.
Ceux qui connaissent l'histoire de Beren et Luthien, savent que Luthien est surnommée le rossignol. Ainsi, le rossignol représente ici à la fois Beren, puisqu'il est le seul spectateur nommé dans le poème, et Luthien, dont il est le surnom. Cette double incarnation par le rossignol permet de matérialiser l'union amoureuse et fusionnelle des deux personnages.
Par ailleurs, les pleurs et le sommeil du rossignol, alors symbole de l'amour et de l'union de Beren et Luthien, rappellent le fait que la belle elfe a perdu son immortalité de part son union avec Beren. Les pleurs symbolisent ainsi le caractère tragique de l'histoire des amoureux, et l'endormissement constitue un euphémisme pour désigner la mort des amoureux dans une ode d'amour, c'est-à-dire au terme d'une histoire d'amour romanesque intense, vécue passionnellement et dont il n'y a rien à regretter. L'amour se présente ainsi comme une force capable d'atténuer le caractère tragique de la mort et de le surmonter, ce que les amoureux ne manquent d'ailleurs pas de faire au cours de leurs péripéties.
- Strophe numéro 6
Dansait la nymphe aux mains fragiles,
Le pas léger, le pied agile,
Sous le feuillage ample et frisé,
Avant l'aurore et l'eau rosée.
- Ici encore des allitérations : en « f », avec « nymphe », « fragile », et plus loin « feuillage » et « frisé » ; en « g » avec « fragile », « léger », « agile », « feuillage ». L'on s'aperçoit d'ailleurs que les allitérations en « f » et « g » s'entremêlent, tandis que ces sons particulièrement musicaux font naturellement penser à un bruissement de branche, un froissement, une brise ou un craquement de mousse humide sous un pied nu, ce qui renforce la mélodie. J'ai encore utilisé des allitérations en « l » avec « fragile », « léger », « agile » ; une autre allitération en « in » interne au premier vers entre « nymphe » et « main » ; de même, interne au quatrième vers, une allitération assez développée en « loro » entre « l'aurore » et « l'eau rosée ».
J'ai développé des parallélismes : par exemple « le pas léger » répond à « le pied agile », tandis que « ample et frisé » répond à « et l'eau rosée » avec la reprise de quatre sons vocaliques, ainsi que les consonnes « l » et « r » pour au total trois sons consonantiques.
- Cette fois, le champ lexical s'attarde sur le corps de la nymphe qui est décrit à travers ses mouvements de danse, le pas léger, le pied agile, qui convoquent par la même occasion les qualités aériennes. Les mains fragiles rappelle la délicatesse.
De nouveau, l'évocation du jour au travers de l'aurore confère à la nuit et à la scène leurs qualités magiques et leur intensité.
Conclusion
L'effort est donc, dans ce poème, concentré, non sur la rime qui ne constitue pas ici la difficulté de l'exercice, mais sur le choix des termes, qui doivent répondre à trois critères : le sens, le rythme, le son. À cela s'ajoute la contrainte d'un nombre de pieds limité par l'octosyllabe : s'imposent dès lors des mots courts et des phrases limitées en longueur, synthétiques qui doivent être lourdes de sens et de pouvoir de suggestion.
La contrainte est réelle, mais la liberté et les potentialités musicales sont accrues. À mon sens, ce format convenait parfaitement au thème que je souhaitais évoquer, à savoir la danse d'une nymphe dans une forêt magique par un clair de lune vaporeux, tel que la couverture des lais du Beleriand (dont vous trouverez une reproduction sur le canal telegram) me la faisait imaginer.
En
conclusion, je pense qu'une accentuation du travail sur le rythme
et les sons en plus de la conservation de la rime finale permet
d'intensifier la musicalité du texte et de trouver des formats
très adaptés pour l'évocation de certains thèmes, ou pour
accentuer une atmosphère particulière. Il me semble que ce travail
modeste explore utilement les techniques utilisées en poésie
scaldique et anglaise pour enrichir la poésie française.
~ Hilda Lefort