Poésie et politique Maurras

Poésie, politique, par leurs racines éloignées, ont des règles communes. J'entends bien le frisson d'horreur que l'action politique inspire aux âmes fines. M. de Montherlant n'a pas tout à fait tort de blâmer une course trop prolongée, hors des temples sereins. Est-ce qu'il a pleinement raison ? Oui, les idées, les mots sont moins salissants et plus souples, et plus obéissants que ces intérêts, ces passions, et surtout ces erreurs des hommes si cruellement mélangées et comme dégouttantes de vérités mal vues. Cependant, ce chaos est toujours le père de tout. C'est de là que s'élèvent les réussites de la pensée et de l'art, c'est de la pacification, de la mise en ordre du trouble que sortent les plus belles mesures du poème. Nos délicats sont malheureux ! Je les avertis qu'ils seront plus malheureux encore s'ils laissent aux autres le soin de politiquer à leur place et à leurs dépens. La Barbarie est là, dehors, dedans, et partout.
Mais, comme la poésie, la politique veut être ordonnée. Vigoureuse, passionnée, violente même, mais ordonnée ! Procédant d'une idée certaine, s'appliquant au réel, en observant les lois. C'est l'emploi de facultés que chacun reconnaît à la jeunesse contemporaine. « Belle jeunesse », dit l'un de vous. Que c'est vrai ! Une génération qui compte les Drieu La Rochelle et les Pierre Benoît, les Azaïs et les Marsan, les Longnon et les Pize, les Dorgelès et les Cocteau, témoigne clairement qu'elle a de la vie, de la force à revendre, et ses premiers porte-paroles distinguent la nécessité de discipliner l'énergie pour assurer le rendement. La dispersion l'inquiète, la divagation l'horrifie, elle cherche un esprit. Pascal en conclurait qu'elle l'a trouvé. Je ne suis pas assez pascalien pour exprimer autre chose que mon sentiment très vif d'un augure très favorable, avec tous les souhaits d'un cœur reconnaissant que je vous prie, mes chers amis, de vouloir bien accepter comme les voilà, débordant de votre espérance.
~ Charles Maurras, extrait d'une réponse à l'Enquête sur les Maîtres de la Jeune Littérature, un volume, par Henri Rambaud et Pierre Varillon, Paris, éditions Bloud et Gay, 1923