Présentation générale de la poésie scaldique

15/12/2022

    La poésie scaldique est un type de poésie nord européen, basée principalement en Scandinavie de l'Ouest. Apparue en Norvège et en Islande, elle était pratiquée par les scaldes, ou « skáld », poètes officiels des rois ou des chefs. De tradition originellement orale, la poésie scaldique commença à être écrite au XII ème siècle.

    Contrairement à ce que l'on peut penser de prime abord, la poésie scaldique, bien qu'empreinte de références païennes, fut fortement marquée par le christianisme : elle dut en effet s'accorder avec lui, notamment parce que nombre de scaldes furent chrétiens. Le nombre de poèmes scaldiques hostiles envers la religion chrétienne est fort restreint, et la poésie scaldique se mit en grande partie au service du christianisme, tout en conservant les images mythologiques païennes, lesquelles sont des outils pour tout poète, participant du caractère figuré et à l'imagerie d'un texte. Ainsi peut-on retrouver des références païennes dans le poème intitulé « Sólarljód » (Lai du Soleil) alors que ce poème fut écrit pour rendre louange et gloire au Christ, lequel est décrit comme le soleil dont le titre fait mention.

    La poésie scaldique ne doit en effet pas être confondue avec la poésie eddique, bien qu'elle s'en rapproche et demeure son prolongement historique. La poésie eddique est née avant la poésie scaldique et s'en distingue par sa facture, ses thèmes et son esprit, quoiqu'elle se base sur le même système originel que la poésie scaldique, à savoir le long vers germanique, et n'en est pas éloignée puisqu'elle semble l'avoir engendrée. Notons aussi que si l'Edda poétique appartient à la poésie eddique, ce n'est pas le cas de l'Edda en prose rédigé par Snorri Sturluson, auteur bien connu, et qui a laissé un important travail de codification poétique qui nous est parvenu et facilite grandement la tâche concernant l'analyse de la poésie scaldique. La poésie eddique est tournée vers le passé, fondée sur le mythe, tandis que la poésie scaldique est tournée vers l'avenir, tout en prenant appui sur le passé.

    Les poèmes scaldiques étaient de véritables performances au niveau technique, car les règles métriques s'y appliquant étaient très exigeantes : basée non sur la rime, mais sur l'allitération, l'assonance, l'accent, la syntaxe, la strophe (appelée « visa ») et le rythme, la poésie scaldique connaissait un certain nombre de déclinaisons et de variantes et avait vocation à être chantée voire hurlée, en tout cas déclamée d'une façon particulière suivant le rythme donné par les syllabes et les accents.

    Il n'est en rien étonnant que les Scandinaves se soient imposés des règles très laborieuses en poésie, dont nous ne restituerons en rien ici la complexité puisque nous nous bornerons à une présentation très générale ; Il faut garder à l'esprit que le peuple du Nord était un peuple d'artisans et d'orfèvres, confectionneurs de bijoux, de bateaux vikings (skeið, byrðingr, knörr, karfi) et de sculptures sur bois. C'était un peuple qui aimait les détails, l'étincelant, la finesse, l'abstraction et l'énigme, le jeu et l'aventure, un peuple assez savant pour se lancer dans l'expédition et la conquête, et qui appréciait la technique pour elle-même.

    Très riche et très étoffée en images et comparaisons, la scaldique utilisait des concepts particuliers tels que le « heiti » (appelé aussi « fornöfn ») et le « kenning » afin de subtiliser son chant lexical : Le principe consistait à éviter sans cesse de nommer les choses et les hommes par leur nom, et de leur substituer une autre dénomination. Dans le cas du heiti, il s'agissait d'utiliser un terme synonyme ou une métonyme, tandis que dans le cas du kenning, il s'agissait d'utiliser une périphrase pouvant appeler à une certaine connaissance de la mythologie, à la finesse d'esprit ou à la culture générale et artistique pour être saisie.

    Les kenningar étaient utilisées en permanence et leur emploi quasi-systématique n'échappe pas au lecteur : au point que certains textes pourraient apparaître obscurs ou énigmatiques pour le novice en mythologie et références nordiques. Ce procédé était tout à fait typique de la poésie germanique, et se retrouvait même dans la prose et notamment dans les sagas.

    Ainsi la bataille pouvait être désignée sous l'expression de « tempête des épées » ; la glace sous celle de « miroir de la mer du Nord », le bateau sous celle de « cheval des vagues ». Certaines kenningar pouvaient aller très loin dans la recherche du raffinement et, pour comprendre certaines d'entre elles, une solide connaissance des références nordiques est nécessaire :

    Ainsi le corbeau était parfois désigné sous l'expression de « sára þorns sveita svanr » ce qui signifie littéralement « le cygne de la sueur de l'épine des blessures » : « Sár » signifiant « la blessure » ; « þorn », « l'épine » ; « sára þorns » : « l'épine des blessures », qu'il fallait comprendre comme désignant « l'épée ». Puis : « sveiti » : « la sueur » ; Ainsi « sára þorns sveita » signifiait « la sueur de l'épée », laquelle devait être comprise comme « le sang » ; enfin « svanr » signifiant « le cygne » : « sára þorns sveita svanr » devait être comprise comme « le cygne du sang, c'est-à-dire le corbeau, animal connu des germains pour se repaître du sang des morts sur les champs de bataille.

    L'expression de « Sága de la bataille » renvoyait quant à elle à la valkyrie, Sága désignant une déesse.

    Les poèmes scaldiques abordaient différents sujets et peuvent se classer selon les thèmes qu'ils abordaient :

- Les poèmes de louange (lofkvaedi),

- Les poèmes dédiés à la description d'objets et d'œuvres d'art à connotation épique ou mythologique : ce qui s'inscrit dans une coutume poétique européenne plus large, et ne manque pas de rappeler des descriptions grecques et homériques telles que celles du bouclier d'Achille, au chant XVIII de l'Iliade : trouve son homologue en poésie scaldique est incontestablement le poème intitulé « La Ragnarsdrápa », description minutieuse et imagée d'un bouclier orné de peintures mythologiques et héroïques.

- Les poèmes amoureux (mansöngr) : genre qui connaîtra un nouveau souffle avec la christianisation en s'inscrivant dans la poésie mariale, notamment en Islande.

- Les poèmes infamants (niđvísur)

- Les strophes libres (lausavísur) : catégorie hétéroclite et diverse pouvant traiter de n'importe quel sujet, ces lausavísur étaient sensés être des poèmes improvisés, et se retrouvent fréquemment dans les sagas.

    Une importance capitale était accordée à la strophe, laquelle permet de distinguer plusieurs formes de poèmes : le flokkr, qui ne comportait pas de refrain, le tal, dont l'objet est d'énumérer, le lausavísa ou strophe libre, et le drápa contenant un ou deux refrains (appelé stef) incorporés généralement dans une vingtaine de strophes.

    Le mètre poétique ordinaire était le dróttkvaett, basé sur les allitérations, un nombre de syllabes fixe (six), les retours de rime internes (innrím) et les accents. Cependant, il existait beaucoup d'autres mètres dont beaucoup étaient des variations du dróttkvaett : le runhent, le fornyrđislag, le málaháttr et le ljóđaháttr, le hrynhent, le kviđuháttr, le fleinsháttr, le töglag...

    Ce bref aperçu de la poésie scaldique illustre à quel point cet édifice littéraire, méconnu du grand public, était d'une richesse étonnante. Inscrite dans la culture européenne, elle avait mis à l'honneur d'intéressants concepts poétiques qui avaient été forgés pour une langue particulière, ce qui lui confère un caractère profondément enraciné et typique, et lui permettait de participer à l'unité de culture des pays nordiques. Elle mérite d'être étudiée et connue, elle mérite aussi d'être renouvelée. Une transposition de la poésie scaldique en français n'est pas possible ni souhaitable, puisqu'elle est le fruit d'une époque et d'un peuple et qu'elle fut faite pour mettre en valeur une langue précise et différente du français contemporain. Néanmoins, les concepts typiques de la poésie scaldique peuvent être appris de la poésie française et lui inspirer de nouvelles figures de style ou d'enrichir certaines méthodes. Voilà pourquoi une tentative d' « adaptation » du dróttkvaett en français a été tentée dans certains poèmes, qui peuvent être retrouvés sur ce site même :

- Terre romaine de France, poème pour la Provence

- Ascension

- Tambourin gaulois

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